L’épinette noire, la résilience absolue

Comme la pessière représente une importante source d’approvisionnement de l’industrie forestière,  il y a 5 éléments à retenir au sujet de l’épinette noire.

Grâce à son bois à faible teneur en résine, l’épinette noire (Picea mariana) a été au centre de l’essor de l’industrie québécoise des pâtes et papiers au 20e siècle. De nos jours, l’espèce revêt une importance économique et écologique indéniable. Il s’agit de l’une des espèces les plus abondantes de nos forêts publiques québécoises.

L’épinette noire a su s’adapter à une panoplie de milieux. On la retrouve le plus abondamment sous forme de grands massifs dans la forêt boréale. C’est de façon plus parsemée qu’on la rencontre au sud, dans des milieux humides, et au nord, dans la toundra forestière à la limite nordique des arbres.

Quels sont les caractéristiques à retenir sur cette essence? Comment celles-ci influencent l’aménagement des pessières noires?

 

Les 5 éléments à retenir sur l’épinette noire

1. Adapté au feu

Dans la forêt boréale, le mécanisme de régénération de plusieurs espèces dépend de larges perturbations (feux de forêts, épidémie d’insectes) qui touchent les peuplements. 

 

L’épinette noire a su s’adapter à cette réalité et ses peuplements se régénèrent suivant le cycle des feux, par reproduction sexuée. Ces graines sont partiellement protégées au sommet des arbres à l’intérieur de cônes semi-sérotineux, qui sont recouverts d’une résine qui ne s’ouvrent que sous l’action de la chaleur. Bien que quelques cônes puissent s’ouvrir sous l’action du soleil, c’est lors de feux de forêts que l’on assiste à l’ouverture de pratiquement tous les cônes. Ainsi, l’épinette peut s’installer très rapidement après un feu (en moins de 3 ans). Elles forment alors un peuplement équien, c’est à dire un peuplement dont les arbres ont le même âge. 

pessière-brulée

L’action du feu permet entre autres de préparer de meilleurs lits de germination pour l’épinette en diminuant la quantité de matière organique au sol. Le feu libère aussi des éléments nutritifs et diminue la compétition, notamment des éricacées.  

 

Un cycle de feux trop court peut toutefois affecter la régénération de l’essence. La forêt qui brûle alors est trop jeune pour avoir formée des réserves de graines suffisantes et les peuplements deviennent moins denses.

 

La densité vs le coefficient de distribution

 

2. Marcottage

Le marcottage est une méthode de multiplication des végétaux à partir des branches basses d’un plant mère. En touchant le sol, ces branches vont finir par s’enraciner et un ou plusieurs nouveaux arbres vont alors croîtrent. Le marcottage se produit principalement dans des peuplements de densité moindre et dans des milieux très ouverts, plus particulièrement dans les sols organiques, où les branches basses se font recouvrir de mousses ou de litières. La reproduction par marcottage a lieu aussi en absence de perturbations majeures, tel que dans des endroits où le cycle du feu excède l’espérance de vie des épinettes. La sénescence des arbres, le chablis ou des petites infestations d’insectes sont à l’origine de trouées qui laissent entrer la lumière suffisante à la croissance de ces tiges.

 

Combinant à la fois une reproduction sexuée et végétative, il n’est pas étonnant que l’épinette noire aie pu s’adapter à une panoplie de milieux, ce qui expliquent en partie sa grande aire de distribution. Ce n’est pas le cas de d’autres espèces, comme le pin gris, qui ne peut se reproduire que par une méthode sexuée et dont la libération des graines de cônes sérotineux dépend exclusivement de la chaleur d’un feu.

 

Pour en savoir plus sur le pin gris

 

3. De tolérante à semi tolérante à l’ombre

On retrouve l’épinette noire dans une diversité de conditions de luminosité, autant en milieu ouvert que sous une dense canopée. C’est pourquoi on qualifie généralement l’épinette noire d’espèce tolérante à semi-tolérante à l’ombre. 

 

Durant les premiers stades de leur vie, les semis et les tiges d’épinette (marcottage) sont relativement tolérants à l’ombre et peuvent survivent plusieurs années sous couvert de la canopée en attendant la lumière nécessaire à leur croissance. L’espèce est ensuite semi-tolérante à l’ombre. 

 

4. Vulnérabilité aux chablis

L’épinette noire n’est pas une espèce réputée pour être particulièrement résistante aux perturbations naturelles. Bien qu’elle possède un système racinaire étendue, celui-ci est peu profond. La superficialité de ces racines fait en sorte que l’espèce est sensible au chablis, surtout dans le cas d’individus isolés. Il est possible d’évaluer facilement la résistance au chablis d’un peuplement par le pourcentage de cimes vertes des arbres.

 

L’épinette noire est aussi sensible aux insectes ravageurs, comme la tordeuse des bourgeons de l’épinette et le charançon, ainsi qu’aux maladies, comme le chancre cytosporéen. Selon l’intensité des épidémies, les ravageurs peuvent entraîner d’importantes pertes de croissance dans les peuplements.

 

5. Croissance plus lente les 10 premières années

La croissance des semis de l’épinette noire est lente durant les premières années. Durant la première saison, on note une croissance qui ne dépasse pas 2.5 cm. Bien que l’espèce soit adaptée pour plusieurs types de milieux, sa croissance dépend particulièrement des conditions favorables du site. Par exemple, les sites bien drainés et ouverts sont idéals pour la croissance de l’épinette, contrairement aux milieux humides, qui sont généralement pauvres en nutriments. 

 

À cause de sa croissance lente, d’autres arbres plus compétitifs, comme le bouleau blanc (BOP) et le peuplier faux-tremble (PET), peuvent rapidement coloniser les peuplements d’épinettes suite à un feu. C’est aussi le cas des éricacées, qui peuvent entraver la germination et la croissance de l’espèce en envahissant le site. 

 

Également, on constate que le retour de l’épinette noire suite à un feu n’est pas garantie. On assiste à un phénomène d’ensapinage sur de grands massifs d’épinette noire (augmentation de la proportion de sapin baumier dans le peuplement). Cet envahissement par le sapin baumier a lieu dans des endroits où il y a beaucoup de mousses qui favorisent la régénération du sapin au dépend de l’épinette. L’impact de ce phénomène est toutefois contrôlée en partie par l’action de la tordeuse de l’épinette, qui malgré son nom, touche davantage le sapin baumier.

 

Pour en savoir plus sur le sapin baumier

 

La sylviculture de l’épinette noire

La régénération de l’épinette noire

L’aménagement forestier au Québec est planifiée selon une approche écosystémique. Appliquée à la foresterie, cette approche consiste principalement à tenir compte dans nos interventions de tout ce qui fait partie de l’écosystème de la forêt naturelle, comme la biodiversité animale et végétale et l’importance des désastres naturels. Autrement dit, avec une bonne compréhension des dynamiques forestières, il est possible de penser une forêt aménagée selon les dynamiques de la forêt naturelle.

 

Comme la dynamique naturelle de l’épinette noire est directement liée au cycle de feu, la coupe totale est un incontournable. Bien qu’il s’agisse d’un perturbation sévère, la récolte ne reproduit toutefois pas les mêmes phénomènes que le passage du feu. C’est pourquoi la reproduction sexuée est plus ardue, car les conditions de germination des graines ne sont pas respectées (pas de chaleur et peu de perturbations de la matière organique). La régénération après-coupe est donc majoritairement composée de marcottes et de quelques semis.

 

À moins de situations marginales, les peuplements dominés par l’épinette noire doivent être remis en production suite à la récolte. Il est donc essentiel de préparer le terrain pour se rapprocher des conditions que pourrait offrir le passage du feu. 

 

Cette intervention vise à procurer des lits de germination propices à la régénération et à la croissance des semis d’épinette noire. Elle permet également de contrôler les espèces concurrentes, telles que les éricacées, qui peuvent fortement envahir un site après-coupe et contrecarrer le retour de l’épinette. Les éricacées, plus particulièrement le Kalmia, vont compétitionner pour les éléments nutritifs et favoriser l’accumulation de matières organiques au sol. Sachant que les tiges d’épinettes noires croient lentement durant les premières années, ce contrôle des éricacées et de toute végétation concurrente est primordial. 

 

Pour en savoir plus sur la préparation de terrain

 

Une fois le sol sévèrement perturbé, les conditions sont plus favorables à la mise en terre des plants et à une bonne croissance de la plantation.

 

Pour en savoir plus sur le reboisement 

 

L’éducation de peuplements

Compte tenu de la croissance très lente de l’épinette noire en début de vie, un contrôle de la compétition est primordial pour s’assurer que les essences de lumière à croissance rapide, comme le BOP et le PET, ne prennent pas le dessus. Les principaux traitements d’éducation sont le dégagement mécanique, le nettoiement et l’éclaircie précommerciale (EPC).

 

Les coupes partielles

 Afin de stimuler la croissance des arbres et de favoriser la biodiversité dans les peuplements d’épinette noire, il peut être recommandé d’effectuer des coupes partielles. En effet, il a été démontré que l’augmentation de l’espace pour croître et de la disponibilité de la lumière et des nutriments favorisent la croissance de l’épinette. Cependant, des éclaircies trop excessives peuvent rendre le peuplement beaucoup plus à risque au vent, à la neige, à la glace et au chablis.

 

L’épinette noire, qui possède déjà un système racinaire peu profond, pourrait voir sa vulnérabilité aux forts vents augmenter drastiquement, surtout en périphérie de coupes totales.

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Peuplement mal adapté à la coupe partielle

 

Quelques éléments peuvent être pris en compte pour bien planifier une coupe partielle. Tout d’abord, il est recommandé de ne pas diminuer la densité trop drastiquement afin de permettre aux arbres résiduels de s’adapter aux nouvelles conditions du peuplement.

 

Il importe également de choisir des peuplements ayant de meilleurs attributs pour résister au chablis. En effet, les pessières composées d’arbres avec un bon pourcentage de cime verte ( > d’un tiers) ont un système racinaire plus solide. Une densité élevée de hautes régénérations contribue également à solidifier le sol et aide les arbres résiduels à résister aux forts vents.

 

Les pessières noires à structures verticales irrégulières répondent habituellement bien à ce type de traitement et permettent de maintenir des attributs de biodiversité comparables à une vieille forêt. À l’opposé, les peuplements équiens denses sont très sensibles au chablis.

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Peuplements bien adapté à la coupe partielle

 

Conclusion

Afin de maximiser la régénération de l’épinette noire, il est important d’adapter les coupes forestières selon les régions, en s’inspirant le plus possible des cycles de perturbations naturelles.

 

Dans la forêt boréale, c’est la dynamique de feux de forêts qui est incontournable. Un nouveau traitement sylvicole à l’étude, par mini-bandes suivi d’une scarification, est d’ailleurs très prometteur pour reproduire le cycle de feux de forêts, en alternant des bandes d’égales largeurs de récolte et de superficies laissées intactes. La régénération en est fortement améliorée.

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