Le chablis, la forêt face au vent

Apprenez-en plus sur le sujet et quelles stratégies sylvicoles doivent être mises en place pour favoriser la résilience des peuplements face au chablis.

 

Important processus de la dynamique forestière, le phénomène du chablis gagne à être connu et étudié. Il s’agit d’une des perturbations naturelles qui frappe nos forêts, tout comme les épidémies d’insectes et les feux de forêts. D’une importance écologique indéniable dans la régénération de nos forêts, le chablis entraîne néanmoins des impacts économiques dû à la perte de bois. 

 

Pour en savoir plus sur la tordeuse des bourgeons de l’épinette

 

Définition du chablis

Le chablis est une perturbation naturelle qui a lieu lorsque le vent va renverser, déraciner ou rompre un arbre ou un groupe d’arbres. Cela a lieu principalement lors d’événements météorologiques de forte intensité, tels qu’un orage, une tempête, un ouragan ou une tornade. Plusieurs forces sont impliquées dans le phénomène du chablis : les forces qui tendent à faire basculer l’arbre versus les résistances qui s’y opposent.

 

arbres vent fort

 

On distingue les chablis en deux catégories selon la sévérité de l’événement : le chablis partiel et le chablis total. Un chablis partiel a lieu lorsque les ouvertures dans le couvert forestier se situent entre 25 à 75%. On parle de chablis total lorsque l’on dépasse le seuil de 75%, ce qui est considéré comme une perturbation sévère. Le chablis affecte autant de petites superficies, par la création de troués de quelques mètres carrés autour d’un arbre qui se casse ou se déracine, que de vastes superficies de plusieurs milliers de mètres carrés. 

 

Au Québec, l’occurrence des chablis totaux est moindre, étant donné que nous sommes peu touchés par les ouragans et les tornades. Il n’en demeure pas moins que les chablis sont importants dans le régime de perturbation, principalement dans nos forêts tempérées et dans la forêt boréale à l’est de la province, où le cycle de feu est plus long. En effet, lorsqu’il n’y a pas  de feu pendant plusieurs années dans la forêt boréale, les peuplements deviennent plus vulnérables aux perturbations secondaires, telles que les épidémies et les chablis, étant donné qu’on y retrouve des arbres plus matures, et donc, plus fragiles.

 

 

Importance et impacts du chablis

Les perturbations naturelles sont un phénomène crucial dans la dynamique forestière. Le chablis touche particulièrement les individus matures de la canopée, ainsi que ceux en bordure des peuplements, en périphérie d’une coupe ou d’une perturbation sévère.. Cela permet la régénération de nos forêts, par la création de trouées qui diminuent la densité et augmentent la lumière et les ressources disponibles pour faire croître la régénération en sous-bois. Le déracinement des arbres expose le sol minéral et permet aussi de créer des lits de germinations (microsites) bien importants. Certaines espèces sont d’ailleurs bien adaptées à s’installer après un chablis, tel que le bouleau jaune. Sans oublier que la présence de bois mort est une composante essentielle pour la biodiversité de nos forêts.

 

Pour en savoir plus sur le bouleau jaune

 

En modifiant les structures et la composition des forêts, le chablis permet de créer une mosaïque forestière bien diversifié, capitale pour la conservation de la biodiversité.

 

Toutefois, les chablis occasionnent parfois d’énormes dommages économiques en perte de bois. En effet, le bois des arbres dans un chablis est généralement endommagé (cassures, blessures, etc) dû à la force des vents, et celui-ci perd donc sa valeur marchande. De plus, des coûts supplémentaires sont à prévoir si on envisage de réaliser des coupes de récupération ou s’il y a des contraintes opérationnelles dû à l’enchevêtrement des tiges.

 

Essences à risques

Les essences résineuses sont généralement plus vulnérables aux chablis que les feuillus. Cela s’explique par la faible densité de leur bois, qui les rend alors moins résistants face au vent. 

 

Cette composition du bois influence d’ailleurs le type de mortalité : les résineux ont tendance à casser, contrairement aux feuillus, qui vont plutôt se déraciner. De plus, les feuillus ont généralement un meilleur enracinement et comme ils perdent leur feuillage une partie de l’année, cela réduit l’emprise du vent durant la saison hivernale. 

 

La tolérance à l’ombre d’une essence est également une variable qui influence sa résistance aux vents. Les espèces intolérantes à l’ombre sont reconnues pour avoir une densité de bois plus faible, dû à leur croissance rapide. Les espèces de fin de succession, qui ont eu une croissance lente, ont donc une plus grande résistance.

 

Généralement, les essences comme le sapin baumier, les épinettes, le peuplier faux-tremble, et dans une moindre mesure, les pins, sont vues comme étant assez vulnérables aux chablis. Les essences ayant une meilleure résistance sont lérable à sucre, l’érable rouge et le bouleau jaune.

 

Conditions à risques

Plusieurs conditions influencent la vulnérabilité d’un arbre ou d’un peuplement au chablis. On les classe sous les catégories suivantes : les variables liées au climat, les caractéristiques des peuplements, les particularités du sol et les précédentes interventions sylvicoles (ces dernières seront traitées dans la prochaine partie).

 

Variables climatiques

  • Intensité de la tempête (vitesse du vent)
  • Durée de la tempête
  • Abondance des précipitations avant la tempête : un sol très humide réduit la qualité de l’ancrage
  • Direction du vent : si les vents proviennent d’une direction inhabituelle, l’arbre y sera moins adapté
  • Période de l’année : en hiver, les racines dans le sol gelé permettent une meilleure stabilité
  • Topographie : les arbres dans les pentes, les vallées et sur les crêtes des montagnes sont plus vulnérables, car ces reliefs topographiques augmentent la vitesse du vent et des rafales.

 

Caractéristique du peuplement – Au niveau de l’espèce

  • Essence et densité du bois (voir section plus haut)
  • Diamètre et hauteur des tiges : plus l’arbre va croître en hauteur, et plus le vent aura une emprise sur lui. Un plus grand houppier et plus de branches, qui vient avec l’augmentation de la taille d’un arbre, augmentent également l’emprise du vent sur l’arbre. Ainsi, les arbres dominants voient leur vulnérabilité grandir, mais permettent de protéger du vent les arbres des strates sous-jacentes.
  • Âge : Plus les arbres ont de l’âge et plus ils prendront de hauteur et seront exposés aux forts vents, surtout dans un peuplement de structure inéquien. De plus, les arbres matures ou en fin de vie sont plus susceptibles d’être atteints de carie ou de pourriture qui peuvent affaiblir le tronc. 
  • Configuration du système racinaire

 

Caractéristique du peuplement – Au niveau du peuplement

  • Composition en espèce : vulnérabilité spécifique à chaque espèce et de la proportion qu’elle occupe dans un peuplement
  • Densité : plus un peuplement est dense, et plus sa vulnérabilité diminue. Le vent, plutôt que de pénétrer dans le peuplement, va être davantage dissipé. Un peuplement plus dense peut d’ailleurs avoir un réseau racinaire davantage entremêlé, et donc plus résistant.
  • Structure : inéquienne (les arbres dominants seront d’avantages à risque) versus équienne

 

Caractéristique du sol

  • Composition : la densité et la consistance du sol influence la profondeur et la qualité de l’ancrage des racines. (Sol argileux : racines peu profondes, car le sol est très dense VS Sol sablonneux : racines profondes)
  • Épaisseur : peu de profondeur d’enracinement dans un sol mince.
  • Drainage : un sol mal drainé est plus instable, ce qui augmente la possibilité de déracinement

 

Sylviculture et Chablis

Des traitements sylvicoles pratiqués par le passé ou encore actuellement contribuent à diminuer la résistance des peuplements aux chablis. Néanmoins, plusieurs mesures sylvicoles permettent de la renforcer et ainsi de mitiger les impacts économiques. 

 

Coupes totales

Les coupes totales qu’on retrouve abondamment en forêt boréale, créent des bordures de forêts d’arbres en périphérie. Les arbres de ces lisières deviennent exposés à de forts vents, alors qu’ils étaient ultérieurement davantage protégés. N’étant plus adaptés à ces nouvelles conditions de vent, en particulier leur système racinaire, cela augmente les risques de chablis. Cette situation s’applique également aux arbres en périphérie d’un chemin forestier.

 

Pour en savoir plus sur les chemins forestiers

 

Coupes partielles

Un peuplement dense, qui voit sa densité diminuer par une éclaircie, pourrait être plus vulnérable au chablis, puisque son système racinaire sera peu développé par rapport à sa hauteur. Le pourcentage de cime est un bon indicateur de la résistance d’un peuplement aux éclaircies. On cherche généralement à éviter les éclaircies dans les peuplements ayant moins d’un tiers de cime verte.

 

Cependant, pratiquées en temps opportun, les coupes de jardinage dans les forêts feuillus inéquiennes permettent de récolter les arbres matures de la canopée et ceux présentant des blessures ou des défauts qui pourraient être moins résistants aux chablis. Ce prélèvement permet de diminuer ainsi les pertes de bois et d’augmenter la résistance des arbres résiduels en favorisant la croissance de leur système racinaire.

 

Néanmoins, qu’il s’agisse de coupes de jardinages ou d’éclaircies, le vent peut pénétrer plus facilement dans le peuplement et chacun des arbres résiduels subira davantage de pression. Il y a donc une période de vulnérabilité de 2 à 5 ans (et plus dans certains cas) avant que les arbres ne s’adaptent aux nouvelles conditions et que la forêt se soit un peu plus refermée. 

 

Ainsi, pour déterminer le pourcentage de récolte d’une coupe de jardinage ou d’une éclaircie dans un peuplement vulnérable aux chablis, il importe donc d’en connaître ces caractéristiques.

 

Reboisement

Au niveau de la régénération artificielle, il est possible de prendre en compte les risques de chablis durant la planification des travaux. Par exemple, en présence d’un sol très dense, on peut prescrire une préparation de terrain intensive pour ameublir le sol pour faciliter le développement du système racinaire des plants, et donc leur stabilité. Si le site le permet, le choix de l’essence à reboiser peut se faire selon sa capacité à développer un bon système racinaire.

 

Pour en savoir plus sur le reboisement

 

Education de peuplement

Suite à la plantation ou en peuplements naturels, les travaux d’éducation de peuplements pourront permettre de réduire la compétition dans les jeunes arbres, et favoriser le développement de leur système racinaire.

 

L’aménagement forestier écosystémique s’inspire notamment des perturbations naturelles comme le chablis pour réaliser un aménagement durable de la forêt. On tente lors des opérations de récolte d’émuler au maximum les impacts qu’auraient eu une perturbation, tel un chablis. La préparation de terrain peut par exemple tenter de reproduire les microsites que l’on retrouve lors d’un chablis avec déracinement, qui est notamment très favorable à la germination du bouleau jaune.

 

CONCLUSION

Les chablis participent à la régénération des forêts, et favorisent une diversité structurelle bien importante au niveau écologique. Toutefois, les dommages encourus sur les peuplements peuvent parfois représenter des pertes en bois et en argent considérables. Il s’avère donc pertinent de choisir et de développer des pratiques sylvicoles qui permettent de satisfaire ces deux impératifs.

 

Dans un contexte des changements climatiques, l’augmentation de la prévalence des phénomènes climatiques extrêmes risquent d’exposer nos forêts à davantage de tempêtes (fortes rafales de vents et de précipitations de pluie, de verglas et de neige). Ainsi, il apparaît fort probable que le nombre de chablis, et leur sévérité, seront en augmentation. Nul doute qu’il faudra continuer d’étudier le phénomène du chablis pour en comprendre les mécanismes et mieux adapter nos pratiques sylvicoles.

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